Enfants Jaffé
Enfants Jaffé
De l'étoile jaune cousue sur les vêtements, les sœurs Jaffé ont un ressenti différent, Esther s'en révolte, Mathilde en est fière... Mathilde étudie le secrétariat et la couture chez Coco Chanel mais être juive ne facilite pas les études […] Esther étudie la coiffure, elle est passionnée et pleine de rêves pour l'avenir... […] Esther et Mathilde savent que la guerre s’achève, elles vont dans un studio-photos réputé de Paris pour immortaliser leurs beaux sourires qui annoncent la liberté retrouvée , c'est l'été 1944, les libérateurs ont débarqué, ils seront bientôt à Paris...
Esther JAFFE
Esther JAFFE est née le 18/09/1927 à Lyon en France.
Rassemblée à Drancy, elle est déportée à Auschwitz le 31/07/1944 par le convoi n°77. Elle est morte en déportation le 09/03/1945. Elle avait 18 ans.
Déportée avec sa soeur Mathilde. Déclarée officiellement "morte en déportation" au JO n° 163 du 16/7/1994).
Nom : JAFFE
Prénom(s) : Esther
Date naissance : 18/09/1927
Âge (ans) : 16
Lieu naissance : Lyon 07
Pays ou département : Rhône
Lieu rassemblement : Drancy
Dernière adresse : Orphelinat Rothschild, 7, Rue Lamblardie
Ville : Paris
Code postal : 75012
N° Convoi : 77
Date déportation : 31/07/1944
Informations diverses : Esther est la fille de Haïm Jaffé dit Aron (Istanbul, 1902) et de Cadina (née Ganon, le 15/05/1906 à Nazilli, Turquie) venus de Turquie en France en 1923. Son père arrive à Marseille sans un sou, il travaille dur et fait venir ensuite sa famille. “Cadina s'est parfaitement adaptée à la France et ses coutumes, c'est plus difficile pour Haïm... Ils sont marchands forains, ils vendent des tissus. Haim et Cadina se marient le 11 avr 1925 à Lyon, où Mathilde nait le 07/11/1925 et Esther 19/09/1927. De Lyon la famille composée de la maman Kaden, du papa Haïm Jaffé et de leurs deux filles s'installe à Rive-de-Gier dans la Loire où nait Salomon le 12/12/1929. Cadina souhaite se rapprocher de sa famille qui s'est installée à Genève, c'est donc à Annemasse que les Jaffé déposent leurs maigres bagages au 5 rue du progrès, devenue aujourd'hui la rue Adrien Ligué (la maison blanche est toujours là). Esther et Mathilde partagent leur vie dans une parfaite entente. L'école, les promenades sur le lac Leman, le marché avec papa/maman, le bébé avec qui jouer, la famille toute proche, la grand-mère maternelle Esther qui vit tantôt chez les Jaffé à Annemasse tantôt chez la sœur de Cadina : Rose, à Genève. En somme une vie paisible et heureuse. Cadina est une maman rêvée et les enfants se sentent protégés dans le creux de ses bras. Des parents qui s'aiment passionnément dans un pays magnifique : la vie est belle !”
Témoignage de Sylvie Turpyn-Berton, fille de Mathilde :
“Esther est la seconde d'une fratrie de 3 enfants (Mathilde née en 1925, Esther et Salomon né en 1929). Elle nait le 18 septembre 1927 à Lyon où la famille habite au 18 Rue Tramassac (69005) de 1925 à 1928. Elle va vite devenir le centre d'intérêt de chacun et en particulier de sa sœur qui lui voue une adoration. Esther est rousse acajou flamboyant, l'image de sa chevelure restera gravée dans la mémoire de tous ceux qui l'ont connue. Esther est vive, Salomon espiègle, Mathilde calme. Le temps s'écoule... Dans la radio, Hitler s'exprime et Tino Rossi chante... "Il finira par nous faire une guerre celui-la" ne cesse de répéter la jeune Cadina ! Enceinte d'un quatrième enfant en 1936, Cadina s'installe dans l'abime de sa décision et rencontre une faiseuse d'anges... avortement clandestin, hémorragie, infection... Cadina meurt à l'hôpital de Veyrier le 01/06/1937, elle vient d'avoir 32 ans! le monde s'écroule... Haïm est désemparé et semble devenir fou. Il n'est plus en mesure de s'occuper de ses enfants. “On” lui conseille de placer ses filles à Paris à l'orphelinat Rothschild (7 rue de Lamblardie, Paris 12ème). Il se laisse convaincre qu'elles y seront parfaitement éduquées et c'est à l'automne 1937 que Mathilde et Esther deviennent parisiennes. Le petit Salomon reste avec son papa. Haim vit désormais avec son fils à Marseille.
Il faut tant de courage à un enfant pour survivre sans sa maman et quand il faut s'arracher des bras paternels de surcroît et déchirer sa fratrie, la vie n'a plus aucun sens ... Mathilde pourtant va faire preuve de courage et s'adapter assez rapidement. Elle devient la protectrice sans limites de sa petite sœur adorée Esther. Elles vont grandir et devenir deux jeunes filles bien instruites posées et respectueuses ; elles vont retrouver un certain autre goût de vivre malgré la guerre et les bottes allemandes dans Paris. De l'étoile jaune cousue sur les vêtements, les sœurs Jaffé ont un ressenti différent, Esther s'en révolte, Mathilde en est fière... Mathilde étudie le secrétariat et la couture chez Coco Chanel mais être juive ne facilite pas les études, les échanges et les restrictions et interdictions vont avoir pour résultat l'abandon par sécurité. Esther étudie la coiffure, elle est passionnée et pleine de rêves pour l'avenir... Mathilde fréquente un jeune homme non juif : Fernand. Esther également : André. Ils sont protecteurs dans cette France sous le joug nazi. Ils savent les risques encourus à fréquenter des juifs mais la jeunesse brave tous les dangers et Esther et Mathilde prétendent se laisser conter fleurette en rêvant à des temps meilleurs... La vie des orphelines juives à l'orphelinat Rothschild et en plein Paris occupé nécessite une surveillance accrue des responsables de l'établissement et les déplacements seront fréquents qui ne parviendront pas cependant à éviter le pire ! Esther et Mathilde savent que la guerre s’achève, elles vont dans un studio-photos réputé de Paris pour immortaliser leurs beaux sourires qui annoncent la liberté retrouvée , c'est l'été 1944, les libérateurs ont débarqué, ils seront bientôt à Paris ... Plus que quelques dimanches aux bras d'André (dit Dédé) et de Fernand, le temps est compté... Mathilde s'occupe des bébés de la pouponnière de Neuilly dont les parents ont été déportés.
Le 21 juillet 1944 Esther a eu la permission de passer la nuit chez une amie, Rachel, tandis qu'au centre de l’UGIF, 9 rue Vauquelin en pleine nuit les 32 jeunes filles adolescentes présentes sont arrêtées sur les ordres de Alois Brunner officier nazi. En tenues de nuit, elles vont être transférées toutes effrayées et impuissantes au camp de Drancy. Mathilde pense sa petite sœur à l'abri, elle remercie le Ciel...
Le 22 juillet Drancy offre l'inimaginable aux yeux de ces jeunes innocentes. Quand soudainement Mathilde la voit ! Sa si belle chevelure rousse n'a pas d'égal: c'est Esther arrêtée elle aussi ! Le Ciel n'est pas reconnaissant ! Voilà les deux sœurs dépouillées de leurs objets de valeurs : deux chaines en or et deux médaillons avec la photo de leur maman ! Esther a 5 frs : allez hop dans les caisses allemandes ! Le 31 juillet elles sont transférées, poussées comme des animaux qu'on mène à l'abattoir dans des wagons à bestiaux, à Birkenau (Auschwitz Pologne) par le dernier convoi qui part de Bobigny, le convoi 77. Trente trois orphelines toutes amies, 33 adolescentes avides de vie vont ne jamais connaitre la Libération de Paris 3 semaines plus tard ! 23 sont envoyées directement à la chambre à gaz à leur arrivée en enfer.
Mathilde tient dans ses bras le petit Henry de la pouponnière de Neuilly (3 mois) dans ses bras. Un allemand lui arrache l'enfant des bras, le flanque dans la boue et pousse Mathilde de l'autre côté avec Esther... Henry crie toujours dans le cœur et les oreilles de Mathilde... tous ces bébés... Adrienne... Stella... Henry et les autres comment oublier ? La douche, un vêtement d'une déportée morte, le rasage et les cheveux d'Esther au sol ! les deux sœurs ont de la difficulté à se reconnaître le crâne rasé ! L'une contre l'autre elles tentent de cesser de trembler, elles claquent des dents ! mais où sont-elles et qu'est-ce que c'est que cette odeur répugnante ?... Tatouage le bras tendu. Mathilde désormais passera toujours devant Esther et supportera tout pour donner force à sa petite sœur. Mathilde sera le numéro A16734, Esther A16735. Première sélection : qui sera choisi pour la chambre à gaz ? Birkenau camp d'extermination pour la solution finale, personne ne doit sortir vivant d'ici ! Comment croire ce que l'on raconte : cette poussière de cendres qui vole partout, cette odeur ... les fours crématoires qui brûlent sans discontinuer les corps de milliers d'êtres humains innocents. Esther a 16 ans, Mathilde 18 ans.
Et dès lors Esther perd tout espoir, elle ne veut pas croire Mathilde qui lui répète sans cesse qu'elle va retrouver Dédé bientôt et connaître leur nouvelle petite sœur Rosette née à Marseille le jour de leur arrestation (elles l'ont appris à Drancy). Non Esther a trop peur et l'indescriptible la ravage. Elle refuse de manger le pain sec, elle ne mangera plus ! L'été est étouffant. Les sœurs doivent exhumer les corps décharnés, les jeter dans la Vistule. Le travail est épuisant. Les poux s'installent dans leur chair, la dysenterie les conduit dans ces latrines immondes où elles pataugent dans les excréments partout... Les copines de l'orpho, le peu qu'il en reste sont ensemble, elles se remontent mutuellement le moral mais Esther... D'autres sélections : les coups de Mengele le médecin, des expériences médicales qui casse les dents de Mathilde juste pour constater endurance à la douleur, ses regards en quête d'une malade qui ferait bien l'affaire dans sa chambre de tortures et les corps nus debout durant des heures la peur au ventre (creux) d'être sélectionnée pour le gaz... l'automne, l'hiver... glacial. Esther est malade, ne mange pas, la fièvre ne la quitte plus. Les Russes ne sont plus loin, Auschwitz va être libéré. Branle-bas de combat, détruire tout ce qui est compromettant et quitter le camp avec les détenus encore valides. Mathilde réussit à faire monter sa petite sœur dans un wagon à ciel ouvert. Il fait un froid sibérien : -25°. Elles vont sans doute mourir de froid ! Mais Esther est si chaude de fièvre que Mathilde s'en réchauffe et le train démarre vers une destination inconnue. Mais le pire est à venir : la marche de la mort ! Vêtues de lambeaux de tissus, les pieds nus dans des sabots de fortune il faut avancer dans la neige. Elles sont là toutes ces pauvres créatures de Dieu absent, combien vont mourir là abandonnées ? Esther tombe, le SS lâche les chiens qui se jettent sur les jambes de Mathilde, le sang tâche la neige, mais Esther se relève, le SS rappelle ses “bergers”. Mathilde ne pense pas à sa souffrance, elle ne veut penser qu'à sa sœur à bout de forces. Charika l'amie hongroise porte secours à Mathilde et toutes deux soulèvent Esther qui traine dans la neige... Les portes de Bergen-Belsen s'ouvrent. Esther est sauvée. Cicatriser les morsures des chiens en laissant couler l'urine le long des jambes et tenir bon pour sauver Esther. Mais à Bergen-Belsen plus rien à avaler, même plus ce pain sec béni d'Auschwitz ! Ici plus de fours crématoires, la vermine partout et des morts entassés par centaines par milliers. Des cadavres qu'il faut enjamber, des cadavres que l'ont pourrait manger si... La mort partout devient le quotidien ! Esther part au revier (baraquement destiné aux malades. Le côté médical était assuré par des déportés sans autres médicaments que leur volonté). Mathilde détricote sa pauvre couverture et avec deux tiges de bois trouvées elle tricote une autre couverture à mailles serrées pour sa petite sœur afin qu'elle puisse se réchauffer. Esther est cadavérique, elle ne parle plus que dans un souffle à peine audible. Et quand Mathilde quitte le revier pour retrouver sa coya (planche qui servait de lit) c'est pour implorer et que tout cela cesse... Anne Frank est là elle aussi, elles échangent quelques mots... Et Mathilde sombre ! Le typhus ne l'a pas épargnée. Elle va mourir puisqu'elle n'a même plus la force d'aller voir sa sœur adorée... La fièvre l'emporte et elle perd toute notion de vie jusqu'au dernier sursaut : elle entend un fracas, entrouvre les yeux. Ça y est ils sont là ! Les anglais sont là, les libérateurs sont enfin là... Et c'est l'abandon vers le néant !
Zoli l'infirmier hongrois va sauver Mathilde à force de soins et de douceur, progressivement tout doucement réapprendre à manger, à dormir, à vivre. Fébrilement Mathilde enfin peut se rendre au revier annoncer à Esther qu'elles vont rentrer à Paris. Mathilde appelle Esther, ne la trouve pas ! Mathilde crie mais Esther n'est pas là. Mathilde hurle mais Esther ne l'entend pas ! Fany l'infirmière-déportée apprend à Mathilde (le 9 mars 1945) qu'Esther a abandonné le combat, qu'elle n'a pas eu la force de survivre. Esther est morte ! Esther a rejoint les tas de cadavres, Esther brûlera avec les autres lorsque le camp sera incendié aux lance-flammes pour éviter la propagation des épidémies... Mathilde hurle des heures, des jours, des nuits, si maigre elle traine sa carcasse. Elle qui devait protéger sa sœur, elle qui n'a pas pu face à l'ignominie insurmontable ne trouvera jamais de répit à sa souffrance. Elle hurlera dans le silence de ses pensées jusqu’à sa mort.
Elle fut rapatriée à Paris en mai 1945 et quelques mois plus tard fit la connaissance de sa petite sœur Rosette. La vie n’épargnera pas Mathilde qui ira de souffrance en souffrance pour si peu de plaisirs. Elle aura 2 mari et 4 enfants. Sera nommée Chevalier de la Légion d’Honneur en 2002 et inlassablement témoignera afin que jamais la barbarie ne renaisse de ses cendres. Mathilde est décédée le 9 mars 2020 à Saint Quentin dans l’Aisne atteinte de la maladie d’Alzheimer, le cerveau vidé de toute cette mémoire qui la fit, sa vie durant, martyre de la folie des hommes. Pourtant dans un dernier souffle on l’entendit prononcer : « Esther »…”
Sa soeur Mathilde et sa nièce remplieront une fiche de témoignage pour Esther à l’Institut Yad Vashem à Jérusalem.
Une plaque au lycée Lucien de Hirsch (Paris) porte son nom.
Jaffe (Esther), née le 18 septembre 1927 à Lyon (7e) (Rhône), décédée le 9 mars 1945 à Auschwitz (Pologne) JO n° 163 du 16/7/1994) ;
Lieu de déportation : Auschwitz
Lieu de départ : Drancy
Nombre total de déporté·e·s du convoi : 1300
Gazé·e·s à l'arrivée : 726 (55,8 %)
Survivant·e·s en 1945 : 204 (15,7 %)
Mathilde JAFFE (S)
Mathilde JAFFE est née le 07/11/1925 à Lyon en France.
Rassemblée à Drancy, elle est déportée à Auschwitz le 31/07/1944 par le convoi n°77. Survivante.
Nom : JAFFE
Prénom(s) : Mathilde
Date naissance : 07/11/1925
Âge (ans) : 18
Lieu naissance : Lyon 07
Pays ou département : Rhône
Lieu rassemblement : Drancy
Dernière adresse : Orphelinat Rothschild, 7, Rue Lamblardie
Ville : Paris
Code postal : 75012
N° Convoi : 77
Date déportation : 31/07/1944
Informations diverses : Mathilde est la fille de Haïm et Kadina née Ganon venus de Turquie. Née le 07/11/1925, Mathilde est pensionnaire de l'orphelinat de Rothschild, rue de Lamblardie à Paris 12ème vers 1939, puis d'un centre de l'Union générale des israélites de France, rue Montevideo à Paris 16ème en 1943-1944. Le 12/07/1944, elle est arrêtée au centre de l’UGIF, 30 avenue Secrétan et déportée le 31/07/1944 vers Auschwitz, dans le même convoi que sa sœur Esther.
Voir le témoignage ci-dessus de sa fille Sylvie Turpyn-Berton.
Dans le train Mathilde s’occupe des bébés dans le wagon il y avait 5 personnes pour 60 bébés, le plus grand avait 4 ans. A l’arrivée ils doivent abandonner les enfants. Les deux sœurs sont affectées à un commando à Birkenau : le travail, la faim, les coups et toujours la peur de la sélection. Mathilde porte le matricule A16734 (Source: Sylvie Berton Turpyn). Avant leur transfert elles exhument les cadavres des fosses communes pour les brûler. Puis ce sont les marches de la mort avec les pieds gelés et infectés et l’arrivée à Bergen Belsen. Elles attrapent le typhus, Esther va mourir alors même que les Anglais viennent de libérer le camp. Mathilde sera rapatriée le 09/06/1945 après avoir été soignée pendant trois mois (Source: Mémorial des déportés Judéo-Espagnols de France).
Mathilde épouse Paul Turpyn. Mathilde Jaffé-Turpyn est membre de l'amicale d'Auschwitz, membre d'une association départementale des déportés juifs et résistants. Elle est nommée Chevalier de la Légion d'Honneur en 2002. Mathilde Jaffé-Turpyn est décédée le 09/03/2020 à Saint-Quentin (02100 ).
Lieu de déportation : Auschwitz
Lieu de départ : Drancy
Nombre total de déporté·e·s du convoi : 1300
Gazé·e·s à l'arrivée : 726 (55,8 %)
Survivant·e·s en 1945 : 204 (15,7 %)